- ACROPOLE D’ATHÈNES
- ACROPOLE D’ATHÈNESPresque toute ville grecque est composée de deux éléments que la configuration du site distingue d’emblée: ville haute et ville basse – celle-ci vouée à l’habitat et aux activités civiles et commerciales; celle-là, l’acropole, réservée à la défense et aux dieux protecteurs de la cité. Cette dissociation topographique des fonctions, qui ne s’est faite souvent que très lentement, s’observe très tôt dans le cas exceptionnel de l’Acropole par excellence: celle d’Athènes.L’Acropole préhistorique et mycénienneDes buttes rocheuses dont le chapelet s’égrène du nord au sud dans l’ample cuvette que circonscrivent l’Hymette, le Pentélique et le Parnès, l’Acropole, avec son plateau artificiellement agrandi de 27 000 mètres carrés qui culmine à 156 mètres, n’est ni la plus haute ni la plus vaste. Sans doute est-ce aux deux sources qui la flanquent, au sud (Asclépieion) et au nord-ouest (Clepsydra), qu’elle dut d’être probablement habitée dès 5000 avant J.-C. environ: bien qu’aucune trace d’occupation de cette époque n’ait pu être recueillie sur le rocher même en raison des aménagements ultérieurs, l’existence d’un habitat du néolithique récent est attestée dans ses parages. Durant le IIe millénaire avant J.-C., marqué par l’installation en Grèce des peuplades indo-européennes qui constitueront sa population jusqu’au terme de l’Antiquité, les traces d’occupation autour de l’Acropole restent d’abord ténues: tessons de l’Helladique ancien (2200-1900) dans les grottes du flanc sud; puits et tombe de l’Helladique moyen (1900-1600), toujours sur le flanc sud. Mais il faut attendre la civilisation mycénienne (Helladique récent: 1550-1050) pour que l’Acropole entre vraiment dans l’histoire: entre 1250 et 1200 est construite autour du plateau une imposante muraille en appareil cyclopéen, de 3 à 4 mètres d’épaisseur, qui donne au site la configuration qu’il conservera (Pl. I, plan I), sauf du côté sud, où des travaux de terrassement ultérieurs élargiront encore le plateau.L’entrée principale se trouve à l’ouest, du seul côté où le rocher soit aisément accessible, tandis que le flanc sud est agrandi par des terrassements qui accentuent la forte déclivité du terrain; à l’est et au nord, le rempart mycénien s’établit au-dessus de l’à-pic du rocher dominant la zone où s’établira à l’époque archaïque un nouveau centre politique: l’agora. Qu’abritait cette muraille, sur laquelle se greffait à l’ouest une enceinte basse, dite Pelargicon , comparable à celle de l’acropole de Tirynthe? L’analogie avec les grands sites mycéniens voudrait que ç’ait été un palais – résidence des rois dont les légendes locales conservaient encore à l’époque classique la mémoire très vivace. C’est le plus valeureux d’entre eux, Thésée, pourfendeur de monstres à l’instar d’Héraclès, qui aurait réuni sous son autorité toutes les bourgades avoisinantes, unifiant ainsi l’Attique au profit d’Athènes. Mais, de ce palais mycénien, absolument rien ne subsiste: tout au plus peut-on considérer comme son accès particulier la rampe coudée qu’on observe encore sur le flanc nord, devant la façade est de l’Érechthéion. Cette disparition radicale est d’autant plus étonnante qu’Athènes semble avoir été moins touchée par la catastrophe de 1200 avant J.-C. que la plupart des grands sites mycéniens. Une preuve indirecte de l’existence de ce palais serait toutefois fournie par les cultes chthoniens qui se perpétueront dans la zone nord du plateau: un arbre sacré dans une cour, une chapelle dont la crypte abrite un serpent sacré ne sont pas impossibles dans un palais mycénien. Vestige plus tangible de cette première phase monumentale, un passage dérobé, aménagé dans une faille naturelle du rocher, sur sa face nord-ouest, permettait d’atteindre un puits situé à 25 mètres sous le niveau du plateau fortifié; ainsi la citadelle était assurée de ne point manquer d’eau, préoccupation qu’on retrouve dans toutes les forteresses mycéniennes. Enfin, devant la grande entrée ouest, dont le dispositif est impossible à restituer, se dressait, sur un piton rocheux qui deviendra le bastion d’Athéna Nikè, un petit sanctuaire rupestre.L’Acropole géométrique et archaïqueOn ignore comment cette Acropole mycénienne, capitale d’une petite principauté, périclita entre 1200 et 1000. À en juger par les tombes submycéniennes et protogéométriques trouvées entre l’Aréopage et l’Éridanos, il n’y a pas eu solution de continuité à Athènes: le site n’a pas cessé d’être habité, mais la royauté centralisatrice a dû disparaître, et avec elle les bâtiments de l’Acropole qui la symbolisaient, tandis que les cultes anciens subsistaient. Ainsi s’esquisse, durant les siècles obscurs de l’époque géométrique (1100-700), une Acropole désormais réservée aux grands cultes de la cité, tandis que le pouvoir politique qui l’a désertée s’établit dans la basse ville. L’architecture balbutiante de cette époque n’a guère laissé de traces: deux cubes de pôros , inclus dans les fondations du «Vieux Temple» d’Athéna, ont été parfois interprétés comme les fondations du porche d’entrée d’un édicule absidal, premier abri de la statue de culte d’Athéna: le xoanon en bois d’olivier tombé du ciel, statue-pieu primitive, parée chaque année de nouveaux atours qui lui donnaient une allure plus humaine. En tout cas, l’existence d’un sanctuaire important est attestée par les fragments de chaudrons votifs trouvés sur l’Acropole: dans les figurines décorant puis étayant les anses s’affirme vite, durant le VIIIe siècle, le sens plastique des artisans bronziers d’Athènes, à qui l’on attribue désormais l’invention de ces figures d’appui, dont certaines comptent parmi les plus anciennes représentations mythologiques (Thésée et le Minotaure).Ce n’est qu’avec le Vieux Temple d’Athéna – ainsi désigné dans les inscriptions qui consignent la comptabilité des constructions du Ve siècle – que l’Acropole reprend forme pour nous. Sur le plateau sacré, toujours ceint de la muraille mycénienne, se dresse à la fin du VIIe siècle avant J.-C. un grand temple dorique, dont les fondations sont visibles entre l’Érechthéion et le Parthénon (Pl. I, plan II). Le plan qu’on y lit est singulier: au lieu de la longue chambre habituelle (cella) abritant la statue de culte, comprise à l’est et à l’ouest entre deux vestibules plus ou moins profonds (pronaos et opisthodome), on trouve à l’est une cella courte, la partie ouest du temple étant divisée en trois pièces. Cette disposition, qui sera reprise par l’Érechthéion, est dictée par la volonté d’abriter sous un même toit les différents cultes installés dans cette zone depuis l’époque mycénienne. L’ampleur de ce bâtiment dorique (43,15 m 憐 21,30 m) atteste la rapidité de la mutation qu’a connue l’architecture grecque durant la seconde moitié du VIIe siècle. Depuis les études de W. Dörpfeld (1885-1890), le Vieux Temple est au centre de discussions toujours ranimées: que faut-il lui attribuer, parmi les fragments d’architecture et de sculpture retrouvés sur le plateau, notamment dans la fosse située entre le Parthénon et le musée actuel? Question complexe et capitale, car ces fragments sont trop nombreux pour un seul bâtiment. Selon la thèse formulée par W. Dinsmoor en 1947 et communément admise depuis, selon laquelle aurait existé à l’emplacement du futur Parthénon un autre temple, datant du VIe siècle, c’est ce temple, que rien n’atteste sur le terrain, qui serait désigné dans une inscription sous le nom de Hecatompedon , c’est-à-dire «temple de cent pieds». Cette thèse a été récusée par Immo Beyer: il n’y aurait eu qu’un temple archaïque sur l’Acropole, mais trois fois remanié pour l’accorder à l’évolution très rapide du goût et des techniques. Dans une première phase, antérieure à 625, le temple aurait eu une colonnade en bois, remplacée vers 600 par une colonnade en pôros de 6 憐 12 colonnes, ce qui rendrait compte de la particularité sur laquelle Dörpfeld fondait lui aussi l’idée de deux phases de construction: les fondations des murs sont en calcaire de l’Acropole, tandis que ceux de la colonnade qui les entoure sont en calcaire de Cara. À ces deux phases correspondraient également des sculptures tympanales différentes: à la première, le groupe de la lionne déchirant un taureau; à la seconde, à l’ouest, le groupe de deux lions déchirant un taureau flanqué à gauche d’Héraclès luttant contre Triton, monstre marin dont la queue de dauphin meuble l’angle du fronton, tandis que l’angle droit est occupé tout entier par un autre monstre anguipède à triple tête humaine, à l’expression d’ailleurs débonnaire; à l’est, le groupe central manquant serait flanqué à droite d’une scène mythologique: l’introduction d’Héraclès dans l’Olympe en présence d’Athéna, sa protectrice. Cette solution, qui a l’élégance économe de la vérité, est étayée par des rapprochements stylistiques très précis avec les représentations céramiques contemporaines, qui permettent de supposer un écart chronologique d’une génération entre les deux groupes lion-taureau, le premier imité d’un modèle hittite, le second d’un modèle assyrien. Le caractère composite des frontons de la seconde phase, où voisinent les deux registres nouveaux de l’iconographie du VIIe siècle: le bestiaire symbolique emprunté à l’Orient et la geste des dieux et des héros, qui se fixe au même moment dans les poèmes homériques, ne doit pas surprendre; un peu plus tard, vers 590, on l’observe également au fronton du temple d’Artémis à Corfou. Quoi qu’il en soit, ces fragments, d’un calcaire tendre qui appelle la polychromie et la retient plus que le marbre, sont pour nous les plus précieux témoins de la sculpture grecque à ses débuts, lorsque, échappant au petit format de la sculpture de bois et de bronze du début du VIIe siècle, elle se risque, avec la fougue et la fantaisie qui caractérisent l’époque, à des dimensions et à des matériaux nouveaux, tout en restant fidèle au vif bariolage de ses origines. De cette bigarrure étonnante, qui ne laisse pas d’offusquer le goût moderne, d’autres fragments un peu plus récents témoignent également: compositions tympanales de beaucoup plus modestes dimensions, qu’il faut replacer au fronton de ces chapelles votives qu’on appelle des trésors . Trois d’entre elles sont assez bien conservées: le «fronton de l’Hydre» (vers 590), où Héraclès est représenté aux prises avec l’hydre de Lerne, tandis que le crabe gigantesque dépêché par Héra pour venir en aide au monstre en difficulté occupe l’angle gauche; le «fronton rouge» (vers 570), où Héraclès, comme au fronton du Vieux Temple, lutte avec Triton; le «fronton de l’olivier», enfin (vers 570), où apparaissent à la fois, chose unique, un édifice et un élément de nature qui ont permis à certains d’y reconnaître Achille épiant Troïlos, le plus jeune fils de Priam, qu’il va mettre à mort. Rien ne subsiste au sol de ces trésors, qu’on a supposés récemment dressés dans un «enclos de cent pieds» (Hecatompedon ) qui aurait occupé, au sud du Vieux Temple, l’emplacement du futur Parthénon.Durant la tyrannie de Pisistrate et de ses fils (560-510), l’Acropole redevint le siège du pouvoir politique: le tyran y résidait sous la protection de sa garde personnelle. Comme dans bien d’autres cités au VIe siècle, la tyrannie ne fut pas à Athènes une période d’oppression farouche, mais plutôt, entre l’oligarchie du VIIe et la démocratie du Ve siècle, un détour par le despotisme éclairé, qui réduisit l’influence des grands propriétaires terriens au profit des classes laborieuses: petits paysans et artisans qui commencent à exporter. Une politique de grands travaux et d’«animation culturelle» renforce l’assise sociale de ce régime: Pisistrate fonde les Grandes Dionysies, dans le cadre desquelles le théâtre va se développer au flanc sud de l’Acropole, et donne à la fête ancienne d’Athéna Polias (protectrice de la cité) l’éclat et la solennité d’une véritable fête nationale, à laquelle prend part toute la communauté athénienne: les Grandes Panathénées célébrées depuis 566 avant J.-C., après divers concours dont le prix est constitué par l’huile des oliviers sacrés contenue dans des amphores «panathénaïques» d’un type particulier, culminent avec une procession à laquelle participent tous les corps constitués. Partant du Dipylon (la Porte double), elle traverse l’agora et gagne l’Acropole où les jeunes filles remettent à Athéna le nouveau péplos brodé qu’elles ont tissé pour sa statue de culte; une hécatombe («sacrifice de cent bœufs») réunit enfin autour de l’autel situé en face du Vieux Temple, à l’est, tous les participants, qui s’en partagent les dépouilles.La prospérité croissante d’Athènes durant la seconde moitié du VIe siècle trouve son écho sur l’Acropole. Vers 520, le fronton est du Vieux Temple reçoit un nouveau décor sculpté qui marque l’évolution des techniques et du goût; la juxtaposition de motifs orientalisants – monstres et animaux sauvages – et de scènes mythologiques est remplacée par une composition dramatique unique dont la valeur symbolique est évidente: la lutte des dieux contre les géants, sculptée désormais dans le marbre, occupe tout l’espace tympanal, donnant lieu à des recherches plastiques nouvelles dans les attitudes et le rendu de la musculature; presque au centre, égide déployée, Athéna terrassant un géant justifie son surnom de Promachos, «qui combat au premier rang». Parallèlement, le plateau sacré se pare d’ex-voto de toutes sortes, surtout des statues de jeunes filles, les corés . Profanées en 480 par les envahisseurs perses, elles ont été retrouvées au nord-ouest de l’Érechthéion, pieusement déposées dans une fosse. Certaines, qui ne restèrent exposées que peu de temps, ont conservé en partie leurs vives couleurs. En dépit d’une virtuosité qui confine à la facticité durant le dernier quart du VIe siècle, la sculpture en marbre ne se débarrasse pas des effets picturaux qu’elle a hérités de la plastique primitive en bois et en terre cuite: les effets de drapé, ciselés avec une extrême minutie de manière à faire contraster la légèreté de la tunique de lin (chitôn ) avec la lourdeur du manteau court en laine (himation ), sont soulignés par les couleurs crues des étoffes; il n’est pas jusqu’à la chair qui n’ait été teintée d’un enduit, la ganôsis , qui donne au marbre un ton plus chaud. Il ne s’agit pas ici de portraits: la représentation des traits individuels restera étrangère à l’art grec jusqu’au IVe siècle. Ces statues sont des agalmata , c’est-à-dire des figures idéales de l’être humain dans toute sa splendeur, destinées à réjouir la divinité, comme leur nom l’indique. Bien que ressortissant à un type très rigide, elles sont animées d’une vie intense, toujours diverse: les artistes attiques, par-delà les contraintes du genre et du style local, ont eu à cœur de particulariser leurs œuvres, ne fût-ce qu’en variant des détails de parure – coiffure, bijoux ou disposition du vêtement – mais aussi en donnant parfois au visage une expression qui transcende l’aménité du sourire de rigueur: on peut ainsi distinguer la pimbêche, la rêveuse, la coquette, la boudeuse... Quelques adolescents se sont glissés dans cet éblouissant cortège: le Cavalier Rampin (musées du Louvre et de l’Acropole), première statue équestre connue, représente peut-être, vers 550-540, l’un des fils de Pisistrate; l’Éphèbe blond et l’Éphèbe de Critios , peu avant la catastrophe de 480, marquent la mutation spirituelle d’Athènes: c’en est fait de l’alacrité facile des statues archaïques, le sourire s’est effacé; l’expression est retenue, pensive; les cheveux courts, ou tout au moins ramassés, ont succédé aux nappes ciselées de l’archaïsme, le menton est plus fort, tout le visage plus charnu et massif – le «style sévère», avant même l’épreuve décisive, est déjà là.Ce n’est qu’à contrecœur, sur la foi d’un oracle ambigu de Delphes, que les Athéniens consentirent à l’exode auquel les appelait Thémistocle: quand les Perses parurent devant Athènes, en septembre 480, la ville était vide; les Athéniens, emportant avec eux le xoanon d’Athéna, s’étaient établis dans l’île de Salamine, «derrière le rempart de bois» de leur flotte récemment construite avec l’argent des mines du Laurion. Quelques irréductibles qui s’étaient retranchés sur l’Acropole, abandonnée même par le serpent divin lové au fond du Vieux Temple, furent massacrés, les bâtiments incendiés et les ex-voto renversés. Lorsque les Athéniens reprirent définitivement possession de leur ville, après la bataille de Platées (479), ce n’était plus qu’un champ de ruines. Leur premier soin fut de déblayer et de purifier l’Acropole; le xoanon d’Athéna fut installé provisoirement dans la partie arrière du Vieux Temple, sommairement restaurée. Les Athéniens étaient si attachés aux vestiges de ce temple vénérable que cette bâtisse était encore debout au milieu du IVe siècle, bien qu’elle ait été alors tout à fait superflue.L’Acropole classiqueAvant la bataille de Platées, les Grecs, pour cimenter l’union sacrée, avaient, dit-on, fait le serment de ne pas relever les sanctuaires ravagés tant qu’ils n’auraient pas chassé les Perses de Grèce et d’Ionie; or la lutte devait durer, sporadiquement ranimée, jusqu’en 449-448. De fait, les travaux de construction du Parthénon commencent dès l’année suivante. Tout serait donc simple si le Parthénon n’était pas établi sur le soubassement destiné à un autre édifice, dont il n’est question dans aucun texte et qu’on a appelé le Pré-Parthénon . Ce temple dorique, assez bien connu par les dimensions de ses fondations et certains éléments architecturaux, qui ont été remployés, est, avec l’hypothétique Hecatompedon qui l’aurait précédé, la deuxième énigme archéologique de l’Acropole: quand a-t-il été mis en œuvre, avant ou après le saccage de l’Acropole par les Perses? En dépit des thèses ingénieuses suivant lesquelles le Pré-Parthénon a été entrepris, pour Rhys Carpenter dans les années soixante, à l’instigation de Cimon, pour J. A. Bundgaard en 455, les observations nouvelles faites à l’occasion des travaux de restauration en cours rendent de plus en plus probable l’opinion antérieurement admise: la construction du Pré-Parthénon, commencée peu après la victoire des Athéniens sur les Perses à Marathon, en 490, a été interrompue par le saccage de 480, la plupart des blocs de l’élévation déjà en place présentant en surface l’altération caractéristique du marbre incendié. Pendant plus de trente ans, l’Acropole a donc offert le spectacle d’un sanctuaire dévasté où ne subsistaient que les Propylées archaïques et une partie du Vieux Temple restaurés. Au moins Cimon fit-il ériger, après sa victoire navale de l’Eurymédon, remportée en 467 sur les Perses, une statue colossale en bronze d’Athéna Promachos, haute de 16,40 m, la première œuvre importante de Phidias sur l’Acropole. Au même moment, il faisait élargir le plateau par l’établissement d’un nouveau mur de terrasse, qui donne au côté sud de l’Acropole son aspect définitif et fournit un espace accru aux travaux de construction dont il prévoyait la reprise.C’est pourtant de son adversaire politique, Périclès, qu’allait venir l’impulsion décisive. Dès 447, le Parthénon est mis en chantier: Ictinos en est l’architecte, tandis que Phidias, ami personnel de Périclès, est chargé du décor sculpté et de la statue colossale d’Athéna Parthénos, que l’édifice est destiné à abriter. À en juger par les singularités de son plan, on a l’impression que Phidias a également eu son mot à dire dans la conception du bâtiment. Alors que le Pré-Parthénon était encore tributaire de l’archaïsme par ses proportions allongées (6 憐16 colonnes; 23,53 m 憐 66,94 m), le Parthénon présente les proportions classiques (n = 2n + 1) grâce à la largeur exceptionnelle de sa façade (8 憐 17 colonnes; 30,88 m 憐 69,50 m). Cela permet de créer un espace intérieur de 19 mètres représentant les cinq septièmes de la largeur totale, avec une nef centrale large de 10,60 m, portée encore jamais atteinte. De plus, cet espace acquiert une unité nouvelle grâce à la disposition originale de la colonnade intérieure: les deux rangées de colonnes, au lieu de buter contre le mur de fond de la cella, sont unies par une colonnade transversale. Du coup, cette colonnade intérieure, qui n’avait jusqu’alors qu’un rôle porteur dans l’architecture des temples, acquiert une valeur décorative éminente: elle entoure la statue d’Athéna d’un véritable écrin architectural et souligne la largeur de l’espace où elle est campée. Quant à l’organisation de l’espace intérieur, elle est singulière: afin de dégager une place suffisante pour la chambre arrière, au plafond soutenu par quatre colonnes ioniques, les deux vestibules est et ouest sont réduits à presque rien et remplacés par deux colonnades. Ainsi le bâtiment apparaît comme un temple amphiprostyle entouré d’une colonnade extérieure. Établi sur la crête naturelle de l’Acropole, il repose au nord-est sur le roc qu’il a fallu aplanir, tandis que sa moitié sud prend appui sur un soubassement qui n’a pas moins de vingt-deux assises à l’angle sud-est, ce qui donne une idée de la déclivité du terrain et des travaux de terrassement entrepris pour le Pré-Parthénon. Les cinq dernières assises du soubassement de pôros présentant déjà la courbure qu’on observe au niveau du stylobate, ce raffinement de construction, dont la raison reste assez mystérieuse, doit être imputé déjà au Pré-Parthénon, et non à Ictinos. Cette convexité, à peine sensible à l’œil nu, culmine à 12,5 cm dans la longueur et à 6,5 cm dans la largeur; comme elle affecte toutes les assises horizontales jusqu’aux frontons compris, il en résulte qu’aucun bloc n’est orthogonal et que chacun a dû être taillé sur mesure au millimètre près. De même, les colonnes ne forment pas un tronc de cône régulier: elles présentent aux deux cinquièmes de leur hauteur un renflement (entasis ) de 1,75 cm; enfin, elles sont toutes inclinées vers l’intérieur, et les colonnes d’angle, plus grosses de 4 centimètres, ont une inclinaison diagonale accrue (10 cm), de manière à prévenir les poussées particulièrement fortes qui s’exercent sur elles. Toutes ces subtilités presque imperceptibles donnent au bâtiment une unité organique et dynamique qui explique l’impression de vivante cohésion qui s’en dégage. Les colonnes, hautes de 10,43 m, sont les plus élancées construites jusqu’alors (rapport diamètre-hauteur: 5,48; temple de Zeus d’Olympie: 4,7), mais elles sont plus rapprochées que d’habitude, ce qui permet de limiter leur volume et, par conséquent, de faciliter leur mise en place. Elles soutiennent un entablement relativement léger, puisque l’architrave n’excède pas la hauteur de la frise, mais la toiture en tuiles de marbre de Paros, supportée par une charpente de bois, est d’un poids considérable. Dans ces parties hautes de l’édifice, la polychromie, héritée de l’architecture de bois et de terre cuite des VIIIe et VIIe siècles, subsiste toujours: la frise présentait une alternance de triglyphes bleus et de métopes sculptées sur fond rouge; le larmier de la corniche était rouge, ses mutules bleues et les gouttes rouges avec un filet doré; les rampants du fronton étaient couronnés d’un motif de palmettes incisées et peintes, etc.À l’intérieur de cette enveloppe dorique légèrement pyramidante s’élève, sur un soubassement à deux degrés, une cella dont le mur extérieur présente un fruit, tandis que l’espace intérieur, tout entier calculé en fonction de la statue d’Athéna Parthénos, est orthogonal. C’est au sommet de la face extérieure de ce mur, sous le plafond à caissons du péristyle, que court la frise ionique, qui constitue la particularité la plus étonnante du Parthénon, puisqu’elle rompt d’une manière flagrante avec l’ordre dorique, déjà enfreint par de multiples détails (colonnes de la chambre arrière, moulures diverses), en ajoutant à sa parure sculptée ordinaire un extraordinaire bandeau historié. C’est ici bien sûr que l’influence de Phidias, déjà déterminante dans le choix des volumes, est la plus sensible: aucun autre bâtiment grec ne présente un décor sculpté aussi important.Chose unique pour un bâtiment de cette ampleur, toutes les métopes – quatre-vingt-douze panneaux presque carrés portant en haut relief de un à quatre personnages – sont sculptées: celles des côtés est, nord et ouest sont encore en place, mais réduites à l’état de silhouettes, martelées sans doute par les chrétiens; c’est à peine si l’on peut reconnaître à l’est, côté privilégié, un combat des dieux et des géants, au nord des scènes de la prise de Troie et à l’ouest un combat de Grecs et d’Amazones. Les métopes sud (15 au British Museum), dessinées par l’Anonyme de Nointel (pseudo-Carrey) en 1674, avant l’explosion causée par le boulet de Morosini, représentent, dans un style parfois curieusement suranné («Maître des Centaures grimaçants»), une centauromachie. Au registre héroïque de ces panneaux, où Phidias a fait alterner compositions dramatiques et scènes plus calmes dans des attitudes toujours différentes, s’oppose le registre divin des frontons (British Museum): à l’est la naissance d’Athéna, à l’ouest la dispute d’Athéna et de Poséidon pour la possession de l’Attique. Les parties centrales des deux frontons ayant disparu dès avant le passage de l’Anonyme de Nointel, seules les figures d’angle permettent de se faire une idée des compositions de Phidias. Au fronton est, mieux connu, les dieux sont rassemblés sur l’Olympe; c’est l’aube: le quadrige de la Lune s’enfonce dans l’Océan à droite, tandis qu’à gauche émerge celui du Soleil. Athéna vient de surgir du crâne de Zeus, tout armée; la nouvelle du miracle est propagée vers la gauche par une figure féminine qui se tourne vers Déméter et Coré, assises, et Dionysos nonchalamment étendu sur un rocher, auxquels répond à droite un groupe de trois figures féminines, remarquables par l’attitude abandonnée et la fluidité nerveuse de leurs vêtements. Voici donc, chose étonnante sur un fronton, une composition centrifuge, mais incluse dans la parenthèse des quadriges qui en limitent le moment fugace. Car l’événement est représenté à son origine même: l’épiphanie d’Athéna n’a pas encore touché tous les immortels, certains sont saisis dans l’oisiveté souveraine de leur éternel loisir. Ce pourrait être presque un persiflage, mais l’expérience de la divinité qui donne à cette vision son unité profonde transcende toute anecdote: les dieux sont proches – omniprésents dans le monde – mais aussi insaisissables, car la plénitude de leur être nous dépasse. À ce mystère, qui est au centre de l’hellénisme, Phidias a donné ici sa forme la plus achevée.Après cet hymne majeur, le registre civique de la frise ionique pourrait passer pour futile si Phidias, dans ce bandeau historié de 160 mètres de longueur qui ceint le front de la cella, n’avait réussi à en magnifier le sujet au point de le hausser au niveau du mythe. C’est comme si toute la procession, qui, partant de l’angle sud-ouest, converge en deux colonnes vers le côté est où l’attendent les dieux (leur troisième apparition sur cette façade), était aspirée dans leur ambiance divine. Phidias réalise ici mieux que tout autre ce qu’a toujours voulu l’art grec: plutôt qu’humaniser la divinité, diviniser l’homme, faire affleurer – ici miroiter dans le marbre – ce qu’il y a de divin en lui. Que représente cette frise en très bas relief, aux rythmes divers subtilement enchaînés, avec cette cavalcade d’éphèbes, ces prêtres, ces quelques jeunes filles – trois cent soixante personnages en tout? En l’absence de tout texte antique, on a pensé qu’il ne pouvait s’agir que de la procession des Panathénées qui apportait à la déesse son nouveau péplos: audace iconographique sans exemple, c’est la cité que Phidias aurait représentée au jour de sa fête nationale, marchant solennellement vers la déesse. Mais celle-ci n’est en rien distinguée des dieux qui l’entourent et tournent le dos à la remise du péplos, et pourquoi tous ces cavaliers – et point d’hoplites – qui donnent au cortège un air de défilé plus que de procession? John Boardman a proposé d’y voir la vision de l’accession à l’immortalité des Athéniens tombés à Marathon. Comme très souvent les mortels héroïsés seraient représentés à cheval, or, coïncidence troublante, les cavaliers semblent bien avoir été au nombre de cent quatre-vingt-douze, exactement celui des Athéniens morts dans la bataille, selon Hérodote (VI, 117). Dernièrement, Luigi Beschi a montré que cette représentation synthétique des Panathénées est différemment rythmée: sur les côtés ouest et nord, elle évoquerait l’organisation religieuse et militaire ancienne d’Athènes en quatre tribus; sur le côté sud, sa réorganisation démocratique en dix tribus par Clisthène (508).Dans tout cela, quelle est la part de Phidias? Essentielle dans la conception, minime dans la réalisation: quelques figures de dieux des frontons ou de la frise ionique peut-être. Son rôle fut avant tout de former et d’animer les équipes qui transcrivirent dans le marbre pentélique les cartons qu’il avait conçus. Pour ce faire, il fut secondé par un certain nombre d’assistants, futurs maîtres de la génération suivante – tels Agoracritos et Alcamène. Quant aux ouvriers à jamais anonymes, dont le savoir-faire acquis sur l’Acropole transparaît ensuite dans l’art funéraire qui reprend alors, ils durent être nombreux, si l’on en juge par la brièveté étonnante des travaux: commencé en 447, le Parthénon fut inauguré aux Grandes Panathénées de 438; il ne restait plus alors qu’à réaliser les frontons, mis en place en 432. En fait, de 447 à 438, le travail personnel de Phidias avait porté sur la statue d’Athéna Parthénos , pour laquelle tout le bâtiment est conçu. Comme à Olympie, il s’agit d’une statue chryséléphantine de 12 mètres de hauteur, puzzle de plaques d’or et d’ivoire fixées sur une armature de bois, qui représente Athéna en Vierge guerrière: debout, casquée, avec lance et bouclier, symbole de la paix armée que fait régner l’Athènes hégémonique de Périclès. S’il est vrai que le classicisme est mesure, cohésion et simplicité, rien n’en est plus éloigné que cette idole colossale scintillant dans la pénombre de son écrin de marbre: ses dimensions, ses matériaux et surtout la profusion des décors peints et sculptés secondaires – sur le casque, le bouclier, la tranche des semelles, le piédestal – évoquent plutôt l’Orient et son faste écrasant. Sans doute fallait-il le génie de Phidias pour que cet ex-voto hyperbolique fût plus qu’une rebutante pièce montée. Car c’est bien d’un ex-voto qu’il s’agit, et non de la statue de culte d’Athéna, qui restera toujours l’antique xoanon , abrité par la suite dans l’Érechthéion. Le Parthénon n’est donc pas un temple, mais un prodigieux trésor qui abrite, d’une part, dans sa chambre arrière, les fonds de la Ligue de Délos et, d’autre part, l’ex-voto colossal financé bon gré mal gré par les alliés – sujets d’Athènes.Dès que les équipes de marbriers eurent fini leur travail au Parthénon, en 438, le deuxième élément du programme péricléen fut mis en chantier (Pl. I, plan III): à la place des Propylées archaïques, dont l’orientation reprenait sans doute celle de l’entrée mycénienne, l’architecte Mnésiclès conçut un monument complexe et original: un vaste porche, où la présence des deux ordres – dorique à l’extérieur et ionique dans le passage central – annonçait la diversité des bâtiments du plateau, était flanqué de pièces latérales, sans doute des salles de banquet pour les autorités d’Athènes. Pour aligner les Propylées sur le Parthénon, Mnésiclès déplaça l’axe de l’entrée de 27 degrés: ainsi les fidèles, au lieu de déboucher sur la zone nord-ouest, secondaire, trouvaient devant eux la statue colossale d’Athéna Promachos et sur leur droite, au-delà du petit sanctuaire d’Artémis Brauronia, le Parthénon, auquel faisait écho la façade dorique des Propylées, établie à fleur de rocher. Du côté de la ville, la majestueuse rampe de 80 mètres de longueur et 22 mètres de largeur qui, avec une déclivité de 31 p. 100, menait le visiteur du niveau du chemin circulaire (péripatos ) desservant les divers sanctuaires nichés aux flancs du rocher jusqu’à celui du plateau, était encadrée par deux ailes saillantes. Celle du sud est constituée par le bastion avancé consacré à Athéna Nikè, qui a succédé au petit sanctuaire mycénien perché sur un rocher isolé; celle du nord, établie sur une terrasse artificielle, qui englobe les restes d’un bâtiment à abside datant d’environ 500 avant J.-C., est occupée par une vaste salle, que Pausanias a vue transformée en pinacothèque au IIe siècle après J.-C.; comme l’indique le décentrement de la porte, commandé par la disposition des lits autour des murs, il s’agissait primitivement d’une salle de banquet. Ce bâtiment en , qui accueille l’arrivant et l’englobe sur trois côtés, participe d’une conception dynamique de l’espace architectural qui annonce les grandes compositions hellénistiques de Lindos ou de Pergame. Pour l’obtenir, Mnésiclès n’a pas hésité à remodeler le site au grand émoi des clergés d’Athéna Nikè et d’Artémis Brauronia, dont les terrains étaient menacés par l’audace de son plan. Soutenu énergiquement par Périclès, il parvint à un compromis avec le premier: une symétrie de façade fut maintenue, qui n’empiétait pas trop sur le domaine sacré, il est vrai exigu. Les travaux étaient avancés, on allait entamer la réalisation des deux grandes salles flanquant le passage central, quand éclata un énorme scandale. Un certain Ménon – à la solde du parti conservateur antipéricléen? – affirma que Phidias avait détourné une partie de l’or destiné à la statue d’Athéna Parthénos. Devant l’émotion suscitée par l’affaire, Périclès dut admettre que Phidias restât emprisonné jusqu’à ce que la commission d’enquête instituée eût remis son rapport. Selon certaines sources, le sculpteur serait mort en prison, mais se serait évadé selon d’autres. Quoi qu’il en soit, l’affaire porta un coup fatal aux grands travaux de l’Acropole, poussés par Périclès grâce à un financement approximatif: les décrets de Callias ordonnèrent l’apurement de la comptabilité et l’achèvement aux moindres frais des travaux engagés. Plutarque prétend même que, pour détourner l’attention de l’opinion publique et gagner du temps, Périclès aurait fait voter l’embargo contre Mégare, alliée de Sparte, dont il savait qu’il provoquerait une crise internationale majeure. Effectivement, en 432 commençait la guerre du Péloponnèse, qui devait mener Athènes à sa perte en 404. Périclès lui-même mourut en 429 de la peste qui ravageait Athènes. Ainsi s’enlisait, dans le demi-jour trouble d’un scandale politique mal étouffé, un grand dessein sans exemple: moins de vingt ans avaient suffi – et la conjonction de deux génies – pour produire un «grand siècle».Pourtant, tout n’était pas dit: durant les rémissions de la guerre, les successeurs de Périclès prirent à cœur de poursuivre l’œuvre interrompue.Le petit temple d’Athéna Nikè , sur son bastion qui surplombe la rampe d’accès aux Propylées, fut enfin construit, de 427 à 424, après vingt ans de retard: les plans de Callicratès, approuvés en 448, n’avaient pas été réalisés alors, Périclès ayant imposé aux travaux une tout autre direction en les confiant à Phidias. C’est une petite chapelle de plan cycladique avec une colonnade ionique légère limitée aux deux façades (amphiprostyle). Athéna y était vénérée comme déesse guerrière apportant aux Athéniens la victoire; aussi n’est-il pas trop étonnant qu’enfreignant les conventions de l’iconographie architecturale on ait osé représenter sur la frise continue qui le ceint, outre l’inévitable assemblée des dieux, des épisodes de la bataille de Platées (479), pendant terrestre à la victoire navale de Salamine sur les Perses. Faut-il voir dans le choix de l’ordre ionique un retour voulu d’Athènes à ses origines ioniennes au moment où elle affronte la coalition menée par Sparte? Toujours est-il que l’ordre ionique, avec sa gracile élégance, convenait mieux à un aussi petit bâtiment: tel qu’il a été remonté à partir de ses membra disjecta inclus dans un mur d’époque turque, il semble accueillir d’un sourire les fidèles, avant qu’ils n’accèdent à la gravité des édifices péricléens.Restait l’essentiel, du point de vue cultuel: abriter, avec le xoanon d’Athéna Polias, les héros mythiques qui l’accompagnaient depuis toujours, logés à piètre enseigne dans l’opisthodome restauré du Vieux Temple. L’Érechthéion , entrepris durant la trêve de Nicias (421-414), fut achevé sans doute entre 409 et 406, lors du dernier sursaut d’Athènes. L’auteur de ce bâtiment, le plus complexe de l’architecture grecque, reste inconnu. Pour que l’édifice ne soit pas écrasé par la masse splendide du Parthénon et pour dégager l’autel, un parti audacieux fut adopté: au lieu de le construire sur l’emplacement même du Vieux Temple, qui présentait pourtant une vaste terrasse toute prête, on l’implanta en porte à faux sur celle-ci, de telle sorte que seule la façade est, le mur sud et la tribune des Caryatides s’appuient sur elle, tandis que le reste de l’édifice se trouve à un niveau plus bas de 3,10 m. Cette solution difficile, parfaitement maîtrisée, avait en outre l’avantage d’englober les lieux les plus sacrés de l’Acropole: l’endroit – sous le porche nord – où Poséidon, de son trident, avait fait jaillir une source salée pour affirmer ses droits sur l’Attique et celui – devant la façade ouest – où poussait dans un enclos sacré l’olivier qu’avait fait surgir Athéna pour couper court à ces prétentions. Hormis les deux saillants nord et sud qui ont conservé leur toiture, le corps du bâtiment lui-même (11,63 m 憐 22,76 m) n’est plus qu’une coque vide très fragile, après les vicissitudes qu’il a connues: église, harem du gouverneur turc, quartier général des assiégés durant la guerre d’indépendance grecque. Il est donc impossible d’en restituer en détail le dispositif intérieur, qui devait à peu près reproduire celui du Vieux Temple: à l’est, au niveau supérieur, s’ouvrait la cella qui abritait le xoanon d’Athéna Polias, tandis que l’arrière, auquel on accédait par le porche nord, recelait dans ses profondeurs les cultes chthoniens locaux: le tombeau de Cécrops, premier roi de l’Attique, monstre anguipède, autochtone au sens propre puisque né de la Terre; le tombeau d’Érechthée, l’un de ses successeurs; l’antre du serpent enfin, démon familier d’Athéna, né d’un hasard séminal où l’on reconnaît l’admirable crudité des mythes grecs: Athéna, venue commander des armes à Héphaïstos, dut prendre la fuite pour conserver sa virginité; rattrapée par l’agile boiteux, elle se défendit avec vigueur et le sperme du dieu éclaboussa sa jambe; l’ayant essuyé avec un bout de laine qu’elle jeta, la Terre, aussitôt fécondée, mit au monde un anguipède, Érichthonios, qu’Athéna recueillit et confia dans un panier fermé aux filles de Cécrops, avec interdiction formelle de l’ouvrir, ce qu’elles s’empressèrent de faire: folles de terreur, elles se jetèrent du haut de l’Acropole et Athéna s’occupa dès lors elle-même du monstre, qui s’installa à demeure dans son temple. Ce mythe primitif, les Athéniens y étaient extrêmement attachés, bien qu’il fût peut-être antérieur à l’arrivée des Grecs, qui apportèrent avec eux leurs dieux ouraniens indo-européens; ces légendes peuplées de monstres rampants comme ceux des premiers frontons du Vieux Temple attestaient qu’ils avaient toujours vécu là et que l’Acropole était le siège de leur déesse tutélaire. Dans les temps d’infortune et d’inquiétude morale qui succédèrent au principat de l’«Olympien», il est assez vraisemblable que le peuple d’Athènes, qui avait souvent suivi Périclès sans le comprendre, se soit retourné avec une ferveur nouvelle vers ces croyances où s’enracinait son identité.Par un paradoxe où l’on peut voir le symbole de toute véritable culture, ces divinités obscures patronnées par Athéna reçurent la plus lumineuse des demeures: le style ionique atteint ici son expression la plus raffinée; dans ce bâtiment architecturalement si osé – asymétrique, en porte à faux –, tout est élégance, légèreté, facilité souveraine. Les éléments décorés – moulures de la base, couronnement du mur, encadrement de la porte du porche nord – sont des chefs-d’œuvre de virtuosité transcendée. Une discrète innovation: les figures de marbre de la frise sont plaquées contre un fond en calcaire gris-bleu d’Éleusis, effet pictural qui met en valeur les sculptures, dont le sujet nous échappe. Une particularité énigmatique: la tribune des Caryatides, baldaquin de pierre plaqué contre l’extrémité du mur sud. Pourquoi ces six corés aux longs cheveux tressés, vêtues d’un péplos qui, n’était l’avancée d’une jambe, formerait des plis aussi réguliers que les cannelures d’une colonne? Ont-elles un rapport cultuel avec la tombe de Cécrops située presque au-dessous de la tribune ou bien n’ont-elles qu’une valeur décorative et ne s’agit-il, somme toute, que d’une tribune officielle, qui fait pendant au porche nord? Ces figures, qui ont des précédents dans l’architecture archaïque des Cyclades, sont en tout cas l’œuvre d’un maître conservateur, qui travaille dans la meilleure tradition parthénonienne – Alcamène peut-être.D’un tout autre style, les sculptures du parapet du temple d’Athéna Nikè , dernière touche apportée à la décoration de l’Acropole avant la catastrophe: en 410, grâce à l’appoint d’Alcibiade banni, Athènes remporte devant Cyzique une victoire navale importante. C’est sans doute durant cet ultime répit que furent réalisés ces reliefs qui représentent, déployés sur 30 mètres de longueur autour du petit temple ionique, les préparatifs d’une fête: des Victoires ailées s’affairent autour de trophées et d’animaux destinés au sacrifice, en présence d’Athéna assise. La maîtrise formelle acquise au Parthénon est mise ici au service d’un goût nouveau, qui transparaissait déjà dans quelques figures du fronton est du Parthénon. La préférence pour le corps féminin, pour les «drapés mouillés» qui révèlent les formes, pour des effets de haute virtuosité participe du maniérisme postclassique (430-370), dont les artifices annoncent certains aspects de l’art hellénistique. Avec ces reliefs d’une sensualité frémissante, qu’on attribue volontiers à Agoracritos de Paros, disciple favori de Phidias, s’achève l’ère des grandes réalisations à l’Acropole: l’équilibre instable du moment classique est déjà révolu.SurvivanceL’Acropole du Ve siècle devint très vite «classique»: un point de référence pour la culture antique, qu’on vint visiter de tout le monde méditerranéen. Bien qu’ils aient encore connu divers moments de prospérité, les Athéniens n’y ajoutèrent que quelques bâtiments mineurs, ainsi la Chalcothèque, attestée pour la première fois en 371 avant J.-C. comme lieu d’exposition (ou de stockage?) de diverses pièces d’armement. En revanche, les ex-voto privés et publics se multiplient: par exemple, vers 450, la statue du poète Anacréon, peut-être de Phidias, et le groupe d’Athéna et Marsyas de Myron; vers 420, l’original de la Suppliante Barberini du Louvre; le groupe de Procnè et Itys d’Alcamène; le Cheval de Troie de Strongylion, en bronze. En 178 avant J.-C., la statue d’Eumène II de Pergame sur un quadrige de bronze, auquel succéda Agrippa peu avant notre ère, fut indiscrètement dressée sur une haute base devant l’avant-corps nord des Propylées. Un autre monument de ce type fut aussi érigé à l’angle nord-est du Parthénon. Vers 160-150 avant J.-C., le roi de Pergame, Attale II, fit installer sur le côté sud de l’Acropole une série de statues en bronze de Gaulois mourants pour commémorer ses victoires. En 27 avant J.-C., un incendie endommagea gravement l’Érechthéion, dont la façade ouest, jugée trop fragile, fut restaurée avec des entrecolonnements à moitié aveuglés; la symétrie des deux façades s’en trouva altérée. En même temps, ce qui explique la reprise de motifs décoratifs de l’Érechthéion, fut édifié devant la façade est du Parthénon le petit temple rond de Rome et d’Auguste, baldaquin ionique à neuf colonnes – le seul monument d’époque impériale de l’Acropole. Relativement épargnés par l’incursion des Hérules (267 apr. J.-C.), les bâtiments classiques durent ensuite leur salut à leur transformation en église. Au Moyen Âge, les Propylées, devenus château fort, furent la résidence des ducs francs d’Athènes. Les destructions ne commencèrent qu’avec l’occupation turque, au XVIe siècle. En 1687, durant le siège d’Athènes par les Vénitiens, un boulet fit exploser le Parthénon où des munitions avaient été entreposées; une petite mosquée s’installa de guingois dans le bâtiment éventré. Lord Elgin, outrepassant l’autorisation du sultan, fit emporter en 1800-1801 tout ce qu’il put (British Museum). Après l’ultime épreuve de la guerre d’indépendance, un décret royal du 14 février 1834 libérait l’Acropole de toute fonction militaire; l’ère des recherches archéologiques (grande fouille de 1882-1890) et des restaurations commençait.
Encyclopédie Universelle. 2012.